TRAITEZ VOS TECHNICIENS COMME DES VÉTÉRANS, ET ILS LE DEVIENDRONT
PAR MAX REID
S’il y a une chose qui est à l’avantage du secteur de la réparation de carrosseries, c’est que, par rapport à de nombreux autres secteurs, beaucoup de ceux qui dirigent des ateliers de réparation de carrosseries ont eux-mêmes exercé ce métier à un moment ou à un autre. Dans notre secteur, il est beaucoup plus rare de trouver un directeur d’atelier qui n’a aucune idée de la sueur et du labeur nécessaires à la réalisation d’un travail de débosselage, même le plus élémentaire. De plus, le sentiment d’impuissance provoqué par des taux de main-d’oeuvre peu reluisants n’échappe pas aux meilleurs chefs d’entreprise d’aujourd’hui.
C’est pourquoi bon nombre de ces chefs d’entreprise très performants trouveront des moyens supplémentaires de récompenser leur personnel hautement qualifié pour son travail. Certains opteront pour un régime de retraite collectif dans le cadre duquel le personnel accepte qu’une partie de son salaire soit mise de côté sur un compte fiduciaire exonéré d’impôt qui fructifiera si l’employé reste dans l’entreprise. D’autres entreprises mettent en place des modèles de participation aux bénéfices plus complexes qui visent à promouvoir et à récompenser la responsabilité de l’employé et la qualité de son travail au moyen de systèmes de primes échelonnées. Bien que ces deux modèles se soient avérés efficaces dans de nombreux secteurs d’activité, il convient de garder à l’esprit certaines choses avant de vous lancer à corps perdu dans l’ouverture des livres de comptes avec votre personnel.
Ce dernier point est sans doute le plus important, car vous devez être prêt à faire face à tout ce qu’implique une transparence financière totale avec votre personnel. Pour instiller le sentiment de propriété et de sécurité de l’emploi qu’implique un système de participation aux bénéfices, vous devez être prêt à traiter les membres de votre équipe comme des propriétaires partiels de votre entreprise, et l’ouverture de vos livres de comptes est la seule façon de commencer. Si vous êtes un chef d’atelier et que vous ne supportez pas l’idée que vos techniciens connaissent les détails de vos finances, réfléchissez longuement à la question de savoir qui allume vraiment la lumière dans votre bureau.
Pour être juste, cependant, les problèmes qui surgissent le plus souvent dans le cadre des systèmes de participation aux bénéfices ont tendance à être enracinés dans un certain degré d’analphabétisme financier de la part de techniciens n’ayant aucune expérience de la propriété d’une entreprise, de sorte que, comme dans toute relation, la patience est une condition de base pour les deux parties.
Dans sa forme la plus simple, un système de participation aux bénéfices fixe généralement des objectifs mensuels ou trimestriels et distribue au personnel des primes déterminées provenant d’une réserve lorsque ces objectifs sont atteints.
Supposons, par exemple, qu’un atelier de réparation de carrosseries composé de dix techniciens mette de côté 10 % de ses bénéfices trimestriels pour récompenser le personnel lorsqu’il atteint un objectif de 20 000 dollars de bénéfices pour cette période; si l’équipe atteint l’objectif, chacun des dix techniciens reçoit une prime de 2 000 dollars pour le trimestre, en plus de son salaire habituel.
Ce type de modèle comprend généralement une prime annuelle supplémentaire: même si les objectifs de bénéfices ne sont pas atteints pour certaines périodes de prime, les techniciens reçoivent tout de même un paiement si le bénéfice total de fin d’année dépasse l’objectif annuel fixé. Ainsi, si les bénéfices du premier trimestre dépassent largement ceux du troisième, tant que l’atelier dépasse, par exemple, les 80 000 dollars pour l’année, les techniciens recevront toujours leur prime du troisième trimestre.
Mais ce n’est pas tout, car la mise en oeuvre d’un système de participation aux bénéfices réellement productif ne se résume pas à la création d’une feuille de calcul et à l’émission de quelques chèques supplémentaires. Les dirigeants doivent comprendre non seulement comment faire fonctionner leur système de participation aux bénéfices, mais aussi pourquoi ils le font en premier lieu. Pour ce qui est de la culture financière, lorsque vos employés ne reçoivent pas leur prime trimestrielle parce qu’un achat d’équipement coûteux, mais nécessaire, a réduit leurs bénéfices, que leur direz-vous? Et surtout, seront-ils compréhensifs?
À cette fin, de nombreux conseillers financiers et planificateurs d’entreprise recommandent aux dirigeants d’avoir une idée de l’évolution de leurs dépenses. Si vous savez que vous avez une liste d’achats qui grugent les profits, ce n’est peut-être pas le moment d’essayer de diviser le reste et d’appeler cela une prime; c’est un moyen éprouvé de susciter le ressentiment de votre personnel.
La Banque de développement du Canada (BDC) recommande aux entreprises qui souhaitent mettre en place des systèmes de participation aux bénéfices d’utiliser la méthode « SMART » pour réussir.
«Si un atelier de carrosserie souhaite améliorer sa rentabilité, il peut toujours mettre en place un tableau de bord équilibré ou un modèle de partage des bénéfices. Même s’il ne fait pas de bénéfices, en motivant les employés de la bonne manière et en encourageant les bonnes choses, vous pourriez constater un impact positif sur les pertes, voire même sur les bénéfices.»
— Amit Ashani, CPA
Spécifique: Établissez clairement les rôles et les responsabilités spécifiques des personnes que vous souhaitez inclure dans le système. Il ne doit pas y avoir d’ambiguïté sur ce qui qualifie un membre du personnel pour être inclus dans le programme.
Mesurable: Fixez au personnel des objectifs faciles à mesurer, en utilisant des paramètres tels que la quantité, le coût, le temps, etc. Tenter d’attribuer des primes en fonction de la perception de l’effort est une recette pour susciter la jalousie et la désunion au sein de l’équipe.
Atteignable: C’est ici que l’expérience passée des gestionnaires s’avère utile. Vous devez vous assurer que les objectifs fixés par le système sont réalistes pour votre personnel. Il est généralement admis que le niveau de prime le plus élémentaire doit pouvoir être atteint à partir d’un flux de travail relativement moyen pour votre atelier. Si votre équipe a du mal à atteindre le niveau de prime le plus bas, est-elle réellement préparée à partager les bénéfices?
Rapport: Les objectifs fixés doivent être pertinents pour ceux qui peuvent réellement les influencer. Les choses peuvent devenir complexes ici, car pour qu’un système de participation aux bénéfices soit applicable à l’ensemble de l’entreprise, plusieurs systèmes peuvent être nécessaires pour garantir que les récompenses et les responsabilités restent égales. Par exemple, si vous souhaitez que votre personnel de première ligne participe à votre système, ne faites pas dépendre ses primes d’un travail de production qui échappe à son contrôle. Fixez des objectifs spécifiques et pertinents pour tous ceux qui participent au partage des bénéfices.
Temps: Bien qu’un régime d’intéressement et la culture qui l’entoure ne soient en aucun cas tenus d’avoir une date d’expiration, les experts recommandent que les objectifs soient réévalués au niveau départemental chaque année ou, au moins, lorsqu’un changement significatif des finances de l’entreprise est attendu. Les responsables peuvent ainsi savoir si leur équipe atteint les objectifs et quels changements doivent être mis en oeuvre si ce n’est pas le cas. À cette occasion, les dirigeants doivent également faire preuve de transparence quant aux dépenses qu’ils prévoient engager, tels que l’achat d’équipements susceptibles d’avoir une incidence sur les primes des employés. S’il est une chose que vous souhaitez que votre plan d’intérêt soit, c’est qu’il soit prévisible.
Si les études sur l’efficacité des systèmes de participation aux bénéfices dans le secteur canadien des métiers spécialisés, et surtout dans le secteur de la réparation de carrosseries, sont pour le moins rares, beaucoup a été écrit sur le concept de l’actionnariat salarié et sur l’information qu’il peut fournir sur le comportement des salariés lorsque ceux-ci sont à l’origine de leurs propres bénéfices. Un rapport mondial publié en mai 2022 par le cabinet de recherche privé allemand IZA World of Labor a révélé que sur les 56 984 entreprises étudiées, celles qui utilisent un système d’actionnariat salarié ont tendance à connaître «une relation positive faible, mais significative, en moyenne, avec les performances de l’entreprise».
«La relation positive existe quelle que soit la taille de l’entreprise et s’est renforcée dans les études au fil du temps, peut-être parce que les entreprises apprennent à mettre en oeuvre l’actionnariat salarié de manière plus efficace», peut-on lire dans un extrait du rapport. Lorsqu’il s’agit de savoir quand, et non si, un salarié tente de profiter du travail acharné de ses collègues pour atteindre les objectifs de la prime, les propriétaires d’entreprises ont raison d’hésiter à donner un tel pouvoir à leur personnel. Toutefois, le rapport susmentionné a révélé que les entreprises dotées d’un système d’actionnariat salarié sont en fait très efficaces pour contrer ce que l’on appelle le phénomène de parasitisme, de nombreuses personnes interrogées dans le cadre de l’enquête correspondante ayant déclaré qu’elles prendraient des mesures si elles voyaient un collègue entraver les objectifs de primes de leur personnel.
La diminution de la rotation du personnel, la baisse de l’absentéisme et le renforcement de la fierté d’appartenance à l’entreprise ont également été identifiés en tant que tendances dans les entreprises qui fonctionnent selon le modèle de l’actionnariat salarié. Le président de Simplicity Car Care, Domenic Ieraci, explique que son entreprise s’efforce de faire en sorte que tous ceux qui participent à son système de participation aux bénéfices ne se sentent pas seulement propriétaires, mais apprennent à penser comme tels. «Même si vous êtes un centre de réparation de carrosserie indépendant, il est bon que votre personnel, qu’il s’agisse des techniciens ou du personnel de bureau, soit en accord avec les objectifs du centre et qu’il soit incité à soutenir la rentabilité de cette entreprise», a-t-il déclaré lors d’un entretien téléphonique avec Collision Québec.
D’un autre côté, il est important que les responsables fassent preuve de transparence avec les techniciens sur leur impact potentiel sur la rentabilité de l’atelier, qu’il s’agisse de bonnes ou de mauvaises performances, et qu’ils les aident à adopter des habitudes d’efficacité et de rentabilité. Amit Ashani, un expert-comptable de l’Ontario qui a travaillé avec plusieurs ateliers de carrosserie pour mettre en place des systèmes de participation aux bénéfices affirme qu’une partie de l’éducation financière des techniciens consiste à comprendre les aspects du travail où des bénéfices potentiels sont sacrifiés. S’il est expliqué correctement, le partage des bénéfices peut être un facteur de motivation très efficace pour le personnel. «Si un atelier de carrosserie souhaite améliorer sa rentabilité, il peut toujours mettre en place un tableau de bord équilibré ou un modèle de participation aux bénéfices.
Même s’il ne fait pas de bénéfices, vous pourriez constater un impact positif sur les pertes, voire sur les profits, en motivant les employés de la bonne manière et en les encourageant à faire ce qu’il faut», a déclaré M. Ashani.
Vos techniciens peuvent, à juste titre, se sentir frustrés s’ils ne parviennent jamais à atteindre leurs objectifs. C’est pourquoi M. Ashani recommande aux responsables d’adopter une approche stratégique quant au moment et à la raison pour lesquels ils décident de mettre en place un système de participation aux bénéfices.
«La première année, ce serait certainement difficile. Mais une fois que l’entreprise n’est plus en démarrage et qu’elle a atteint un certain niveau de production normalisée, c’est toujours le bon moment. Afin d’inspirer le soutien et la solidarité entre les membres de l’équipe, certains centres de réparation utilisent un système moins formel de « primes attribuées par les pairs».
Dans le cadre de ce système, les techniciens sont autorisés à accorder un certain nombre de primes à leurs collègues tout au long de l’année. Par exemple, si un technicien voit un collègue faire du bon travail sur une réparation, il peut le dire à son responsable et ce technicien sera noté pour recevoir une petite prime individuelle.
Certaines entreprises utilisent même les primes comme crédits pour une vente aux enchères de fin d’année au cours de laquelle le personnel peut enchérir sur des prix achetés par le directeur. Des systèmes comme celui-ci peuvent faire des merveilles pour cimenter une culture de soutien autour d’un atelier de carrosserie.
Que vous souhaitiez sérieusement mettre en place un solide système de participation aux bénéfices ou que vous vouliez simplement trouver un autre moyen d’exprimer votre reconnaissance envers votre personnel, il existe de nombreuses façons pour les directeurs de répartir la richesse et, idéalement, de créer des entreprises saines et favorables aux travailleurs dans tout le pays.
Si vous êtes curieux, parlez-en à votre expert-comptable ou à votre conseiller d’entreprise; vos techniciens vous remercieront pendant de nombreuses années.